Messe chrismale 2017 © L'Osservatore Romano
Homélie du pape François à Saint-Pierre (Texte intégral)
« Que personne n’essaie de séparer ces trois grâces de
l’Évangile : sa Vérité – non négociable -, sa Miséricorde –
inconditionnelle pour tous les pécheurs – et sa Joie – intime et
inclusive ». C’est l’exhortation du pape François lors de la messe
chrismale qu’il a célébrée en la basilique Saint-Pierre le 13 avril
2017, Jeudi Saint.
L’Évangile « par le fait même d’être annoncé devient une vérité
joyeuse et miséricordieuse », a souligné le pape dans son homélie :
« Tout ce que Jésus annonce, et nous aussi prêtres, est joyeuse
Annonce ».
Telle est la joie « de celui qui a été oint dans ses péchés par
l’huile du pardon et oint dans son charisme par l’huile de la mission,
pour oindre les autres », a expliqué le pape qui durant la célébration a
consacré le « Saint Chrême », huile utilisée pour les sacrements du
baptême, de la confirmation et de l’ordre et a béni l’huile des
catéchumènes et l’huile des malades.
Entourant le pape, les cardinaux, les patriarches, les archevêques,
les évêques et les prêtres diocésains et religieux présents à Rome, ont
renouvelé les promesses de leur ordination sacerdotale.
AK
Homélie du pape François
« L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré
par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres,
annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils
retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés » (
Lc 4, 18). Le Seigneur, oint par l’Esprit, apporte la
joyeuse Annonce aux pauvres. Tout ce que Jésus annonce, et nous aussi prêtres, est
joyeuse Annonce.
Joyeux de la joie évangélique : de celui qui a été oint dans ses péchés
par l’huile du pardon et oint dans son charisme par l’huile de la
mission, pour oindre les autres. Et, à l’instar de Jésus, le prêtre rend
joyeuse l’annonce par toute sa personne. Quand il fait l’homélie, (en
étant bref dans la mesure du possible…) il le fait avec la joie qui
touche le cœur de son peuple grâce à la Parole par laquelle le Seigneur
l’a touché, lui, dans sa prière. Comme tout disciple missionnaire, le
prêtre rend l’annonce joyeuse par tout son être. Et, d’autre part, ce
sont justement les détails les plus insignifiants – nous en avons tous
fait l’expérience – qui contiennent et communiquent le mieux la joie :
le détail de celui qui fait un petit pas de plus et fait en sorte que la
miséricorde déborde dans les territoires qui n’appartiennent à personne
; le détail de celui qui se décide à concrétiser la rencontre et en
fixe le jour et l’heure. Le détail de celui qui permet, avec une douce
disponibilité, qu’on use de son temps …
La
joyeuse Annonce peut paraître simplement une autre façon de
dire ‘‘Évangile’’ : comme ‘‘bonne nouvelle’’ ou ‘‘joyeuse nouvelle’’.
Cependant, elle contient quelque chose qui résume tout le reste : la
joie de l’Évangile. Elle résume tout, parce qu’elle est joyeuse en
elle-même.
La
joyeuse Annonce est la perle précieuse de l’Évangile. Ce
n’est pas un objet, c’est une mission. Celui qui fait l’expérience de «
la douce et réconfortante joie d’évangéliser » (Exhort. ap.
Evangelii gaudium, n. 10) le sait.
La
joyeuse Annonce naît de l’Onction. La première, la ‘‘grande
onction sacerdotale’’ de Jésus, c’est celle qu’a faite l’Esprit Saint
dans le sein de Marie.
En ces jours-là, la
joyeuse Annonciation a conduit la Mère Vierge à chanter le
Magnificat,
a rempli d’un saint silence le cœur de Joseph, son époux, et a fait
tressaillir de joie Jean dans le sein de sa mère Elisabeth.
Aujourd’hui, Jésus revient à Nazareth et la joie de l’Esprit
renouvelle l’Onction dans la petite synagogue du village : l’Esprit se
pose et se répand sur lui, en le consacrant d’une onction de joie (cf.
Ps 44, 8).
La
joyeuse Annonce. Un seul mot – Évangile – qui par le fait même d’être annoncé devient une vérité joyeuse et miséricordieuse.
Que personne n’essaie de séparer ces trois grâces de l’Évangile : sa
Vérité – non négociable -, sa Miséricorde – inconditionnelle pour tous
les pécheurs – et sa Joie – intime et inclusive. Vérité, Miséricorde et
Joie : toutes les trois ensemble.
La vérité de la
joyeuse Annonce ne pourra jamais être
uniquement une vérité abstraite, de celles qui n’en finissent pas de
s’incarner pleinement dans la vie des personnes parce qu’elles se
trouvent plus à l’aise dans la lettre imprimée dans les livres.
La miséricorde de la
joyeuse Annonce ne pourra jamais être une
fausse commisération, qui laisse le pécheur dans sa misère parce
qu’elle ne lui tend pas la main pour qu’il se lève et ne l’accompagne
pas pour qu’il fasse un pas en avant dans son engagement.
L’Annonce ne pourra jamais être triste ou neutre, car elle est l’expression d’une joie entièrement personnelle : «
la joie d’un Père qui ne veut pas qu’un de ses petits se perde » (Exhort. ap.
Evangelii gaudium, n. 237) : la joie de Jésus lorsqu’il voit que les pauvres sont évangélisés et que les petits vont évangéliser (cf.
Ibid., n. 5).
Les joies de l’Évangile – j’utilise à présent le pluriel, car elles
sont nombreuses et variées, selon ce que l’esprit veut communiquer à
chaque époque, à chaque personne dans chaque culture particulière – sont
des joies spéciales. Elles doivent être conservées dans des outres
neuves, celles dont parle le Seigneur pour exprimer la nouveauté de son
message.
Je vous fais part, chers prêtres, chers frères, de trois icônes d’outres neuves dans lesquelles la
joyeuse Annonce se conserve bien – il est nécessaire de la conserver -, ne devient pas aigre et se déverse abondamment.
Une icône de la
joyeuse Annonce est celle des jarres de pierre des Noces de Cana (
Jn
2, 6). Dans un détail, elles reflètent bien cette Outre parfaite qu’est
– Elle-même, toute entière – Notre-Dame, la Vierge Marie. L’Évangile
dit qu’« ils les remplirent jusqu’au bord » (
Jn 2, 7). J’imagine
que quelque servant aura regardé Marie pour voir si c’était suffisant
ainsi et qu’il y aura eu un geste de sa part pour leur dire d’ajouter
encore un seau [d’eau]. Marie est l’outre neuve de la plénitude
contagieuse. Mais, très chers, sans la Vierge Marie nous ne pouvons pas
progresser dans notre sacerdoce ! Elle est « la petite servante du Père
qui tressaille de joie dans la louange » (Exhort. ap.
Evangelii gaudium,
n. 286), Notre-Dame de la promptitude, celle qui, à peine a-t-elle
conçu dans son sein immaculé le Verbe de vie, va visiter et servir sa
cousine Elisabeth. Sa plénitude contagieuse nous permet de surmonter la
tentation de la peur : ce fait de ne pas avoir le courage de nous faire
remplir jusqu’au bord et aussi au-delà, cette pusillanimité à ne pas
sortir pour communiquer la joie aux autres. Rien de tout cela, car « la
joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui
rencontrent Jésus » (
Ibid., n. 1).
La deuxième icône de la
joyeuse Annonce que je veux
partager avec vous est cette jarre que – avec sa louche de bois – en
plein soleil de midi, la Samaritaine portait sur la tête (cf.
Jn
4, 5-30). Elle exprime bien une question essentielle : celle du concret.
Le Seigneur, qui est la Source d’Eau vive, n’avait pas de quoi puiser
de l’eau pour en boire quelques gorgées. Et la Samaritaine a pris de
l’eau de sa jarre avec la louche et a étanché la soif du Seigneur. Et
elle l’a étanchée encore plus par la confession de ses péchés concrets.
En agitant l’outre de cette âme samaritaine, débordant de miséricorde,
l’Esprit Saint s’est répandu dans tous habitants de ce petit village,
qui ont invité le Seigneur à rester parmi eux.
Une outre neuve, autant concrète et inclusive, le Seigneur nous l’a
offerte dans l’âme ‘‘samaritaine’’ qu’a été Mère Teresa de Calcutta. Il
l’a appelée et lui a dit ‘‘J’ai soif’’. ‘‘Ma petite, viens, conduis-moi
dans les trous (taudis) des pauvres. Viens, sois ma lumière. Je ne peux
pas y aller seul. Ils ne me connaissent pas, et c’est pourquoi ils ne
veulent pas de moi. Conduis-moi chez eux’’. Et elle, en commençant par
quelqu’un de concret, par son sourire et par sa façon de toucher des
mains les blessures, a apporté la
joyeuse Annonce à tous. La
façon de toucher des mains les blessures : les caresses sacerdotales aux
malades, aux désespérés. Le prêtre homme de la tendresse. Du concret et
de la tendresse !
La troisième icône de la
joyeuse Annonce est l’immense Outre
du Cœur transpercé du Seigneur : intégrité douce, humble et pauvre, qui
attire chacun à lui. Nous devons apprendre de lui qu’annoncer une grande
joie à ceux qui sont très pauvres ne peut se faire que d’une manière
respectueuse et humble jusqu’à l’humiliation. Concrète, tendre et humble
: ainsi l’évangélisation sera joyeuse. L’évangélisation ne peut pas
être présomptueuse, l’intégrité de la vérité ne peut pas être rigide
parce que la vérité s’est faite chair, s’est faite tendresse, s’est
faite enfant, s’est faite homme, s’est faite péché sur la croix (cf.
2 Co 5, 21). L’Esprit annonce et enseigne « toute la vérité » (
Jn
16, 13) et ne craint pas de la faire boire par gorgées. L’Esprit nous
inspire à tout moment ce que nous devons dire à nos adversaires (cf.
Mt
10, 19) et éclaire le petit pas en avant qu’en ce moment nous pouvons
faire. Cette douce intégrité donne de la joie aux pauvres, redonne du
courage aux pécheurs, fait respirer ceux qui sont opprimés par le démon.
Chers prêtres, en contemplant et en buvant à ces trois outres neuves, que la
joyeuse Annonce ait
en nous la plénitude contagieuse que la Vierge transmet de tout son
être, le caractère concret et inclusif de l’annonce de la Samaritaine et
la douce intégrité par laquelle l’Esprit jaillit et se répand,
continuellement, du Cœur transpercé de Jésus notre Seigneur.